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Pour un enseignement pluraliste en économie

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Pour un enseignement pluraliste en économie Empty Pour un enseignement pluraliste en économie

Message  Quentin Mer 16 Mar - 20:31

Un mouvement d'étudiants en économie est en train de partir, notamment de cachan et paris 1, comme autisme économie il y a quelques années, ils réclament une transformation des études d'économie, voici une première présentation de leurs revendications, à paraitre dans quelques jours dans alternatives économique :






Des enseignements d’économie insatisfaisants

Les interrogations, critiques et appels effectués depuis une dizaine d’années par des étudiants en économie de tous horizons sont étonnamment similaires. Ils traduisent l'expression d’un ennui profond, d’une absence de réflexivité, d’enseignements conçus comme un recueil de modèles et de techniques, issus d’un corpus théorique dont la domination académique sert à justifier la standardisation des formations.

La plupart d’entre nous avons intégré des formations en économie avec le désir de comprendre comment le monde qui nous entoure fonctionne. Force est de constater, cependant, que notre connaissance de l'économie ne s'est pas accrue, et que nous demeurons ignorants des logiques réelles qui sous-tendent les prises de décisions des acteurs, de même que nous sommes incapables d’analyser ou d’expliquer la majorité des phénomènes économiques qui font l’actualité. Il semble que ces objets de l’économie réelle soient secondaires dans les préoccupations de nombreuses autorités enseignantes, peut-être parce que considérés comme trop complexes. Nul doute qu'ils le sont. Nul doute aussi que le langage formel du raisonnement marginaliste ne suffit pas à les exprimer. La science économique semble avoir inversé la logique propre à toute science de la société : au lieu de se donner pour objet les phénomènes économiques et d’évaluer les méthodes permettant d’en améliorer la connaissance, elle les traite comme de simples exemples, illustrations de théories qui deviennent des fins en soi. La domination de l’économie en tant que discipline (au sens d’economics) sur l’économie comme objet (au sens d’economy) conduit à placer au cœur de la formation l’acquisition d’outils détachés des phénomènes auxquels ils doivent s’appliquer, de techniques vues comme – universellement – généralisables.

L'économie est partout, et c'est précisément ce qui donne tout son intérêt à la discipline. Prétendant expliquer bon nombre de phénomènes, la théorie économique cherche aussi à préconiser des méthodes et des actions visant à améliorer le bien-être social. C'est bien là le sens de l'ingénierie qui semble gagner les formations en économie : comment, face à une difficulté donnée, la résoudre de la manière la plus efficiente? De ce point de vue l’economics semble bien avoir un impact sur l’economy. Les théories, les modèles et les catégories enseignées vont ensuite être mobilisées dans l’économie réelle, que ce soit dans l’action publique ou sur les différents marchés et modifier ainsi la réalité sociale. Cet impact sur l’économie réelle transite par la formation académique, lieu privilégié d’acquisition d’un socle de connaissances et d’outils. Cette performativité, via les formations, peut-être plus importante en économie qu’ailleurs, impose une réflexion sur les enseignements reçus, qui reste paradoxalement embryonnaire.

Nous refusons cette vision de l’économie. Nous réclamons un recentrement sur les objets économiques qui doivent être traités comme des réalités à expliquer et non comme de simples
exemples. Notre souhait est simplement de poursuivre l’objectif qui était le nôtre en débutant
nos études supérieures : essayer de comprendre l’économie, de comprendre « comment ça marche ». Ce basculement justifie l’interdisciplinarité, les phénomènes économiques n’étant pas l’apanage d’une discipline, contrairement aux méthodes.

Ces critiques envers les enseignements reçus ne sont pas neuves, en 2000 le « Mouvement des étudiants contre l’autisme en économie » s’était unifié autour de réflexions similaires, et avant lui le MAUSS avaient mis en évidence le même type de limites. Le premier a rencontré un écho international, touchant certaines universités américaines et aboutissant à la création d’une revue électronique, la Post-Autistic Economic Review (aujourd’hui Real World Economic Review). Le ministre de l’Education Nationale de l’époque a commandé un rapport à Jean-Paul Fitoussi, dont les conclusions proposaient d’appliquer certaines revendications du mouvement. Pourtant, très peu de choses semblent avoir évolué dans la manière dont la science économique est enseignée. Bien au contraire, la mondialisation académique, sous prétexte de mettre en place un langage commun à tous les économistes, unifie une vision des sciences économiques centrée autour d’une théorie dominante. En France, les réformes actuelles des programmes des SES au lycée montrent également la domination croissante d’une vision de la discipline et de son enseignement centrée autour d’une forme de plus en
plus restreinte d’outils et de techniques (voir encadré). Cette percolation d’un modèle fragile et lacunaire vers le secondaire vient confirmer d’une part ce mouvement de standardisation, et d’autre part la disjonction croissante entre les enseignements et les attentes étudiantes.

Nous pensons que le contexte politique et académique actuel réclame et permet d’envisager de réelles réformes. Car il ne semble pas que les choses se déroulent pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le rôle de la science économique dans la crise qui ébranle aujourd'hui encore les économies réelles semble avoir été désormais largement mis en évidence, sans que toutes les conséquences en aient été tirées. Une responsabilité en incombe directement aux économistes, et une responsabilité encore plus grande à ceux qui les forment. Cette crise économique, que la théorie dominante n’a pas été capable d’anticiper, peut donc être vue également comme la crise de l’enseignement de l’économie.

Afin de prévenir un faux débat, précisons qu’il ne s’agit pas ici d’une querelle de chapelles académiques. Nous ne nous positionnons pas contre la théorie dominante, nous tentons simplement de nous positionner avec. Mais les pensées hétérodoxes ne doivent plus apparaître comme des théories hérétiques. Nous souhaitons qu’elles soient enseignées au même titre que la théorie dominante, qui l’est actuellement de façon quasi exclusive, ce dont témoigne l’avalanche de cours de microéconomie dans les cursus. Cette présentation équitable des théories ne doit pas être comprise d’un point de vue mathématique : il ne s’agit ni de passer nécessairement autant de temps sur chaque théorie, ni de les présenter dans leur totalité.
L’approche thématique que nous défendons permet justement de se sortir de ces impasses en déterminant la pertinence de telle ou telle chapelle en fonction des problèmes posés.

Précisons également que nous ne remettons pas en cause l'apport des mathématiques, de la modélisation et des méthodes statistiques dans l'économie. Mais nous critiquons l’hégémonie de ces méthodes et l’absence de réflexivité sur ces outils. L’obsession du quantitatif comme seul fondement scientifique pour l'économie a pour conséquence une fermeture des horizons intellectuels proposés aux étudiants dans leur cursus. Les mathématiques sont trop souvent utilisées comme une fin en soi et trop d’enseignements consistent en une compilation d’exercices qui privilégie l’aspect calculatoire au détriment du sens.



C’est bien cette recherche du « sens » qui nous pousse à plaider pour un enseignement qui soit ouvert aux autres disciplines. Le cloisonnement disciplinaire qui est celui des études d’économie tourne parfois à l’absurde et ne repose sur aucun fondement : comment peut-on penser aborder convenablement le chômage sans introduire des éléments sociologiques ou historiques ? Comment parler de consommation sans évoquer les analyses sociologiques et en se cantonnant à la théorie microéconomique du consommateur ? Si quelques formations proposent, au moins partiellement, une approche pluridisciplinaire, elles sont trop souvent sélectives (grandes écoles, classes préparatoires) et réservés à certains étudiants privilégiés. Il convient de l’étendre.

Les tentatives d’enseignements pluralistes et leurs difficultés

Si nous sommes très critiques vis-à-vis de la majorité des formations en économie, signalons néanmoins que certains établissements essaient à l’heure actuelle de s’inscrire dans cette dynamique de promotion du pluralisme. Ceci est l’objet d’un récent travail de recherche sur les « formations de type Economie et sociétés » mené par l’un des membres du PEPS3. Ce travail met en évidence que les enseignants qui participent à ces formations partagent pour l’essentiel les critiques précédemment formulées et essaient, à travers des maquettes innovantes, de les dépasser. Ainsi, nous ne partons pas de rien : nous pouvons nous appuyer sur des expériences déjà existantes, bien que précaires et en faible nombre.

Il est particulièrement intéressant de constater que les responsables de ces formations ne prônent pas un pluralisme de principe mais qu’il le voit comme incontournable car, comme le dit lapidairement Nicolas Postel « l’économie, toute seul, ne suffit pas »4. L’approche pluridisciplinaire n’est pas une fantaisie pédagogique, il s’agit d’une nécessité. En effet, chercher à comprendre les phénomènes économiques en se cantonnant à l’économie standard ne résiste pas à un certain principe de réalité, selon lequel une bonne formation à l’économie se doit de fournir aux étudiants les outils nécessaires pour comprendre le monde dans lequel nous évoluons. Or parvenir à cela nécessite l’apport de plusieurs disciplines et de plusieurs paradigmes. Telle est la conception fondatrice de ces formations, ainsi que du mouvement PEPS. Il ne s’agit pas de tout maîtriser et d’acquérir une égale compétence dans toutes les disciplines, mais plutôt de donner aux étudiants la maîtrise de différents « langages », la connaissance de plusieurs « visions du monde ».

Aujourd’hui, certaines licences proposent une approche qui relève de la pluridisciplinarité, comme la licence « Sciences Economiques et Sociales » de Paris 7 ou le parcours « Economie et Société » au sein de la licence « Economie Appliquée » de Lille 1. De même, la bi-licence « Sociologie-économie » de Paris 10 Nanterre proposaient typiquement ce type d’enseignement, avant qu’elles ne soient condamnées à la fermeture, pour des raisons administratives et sans doute politiques que nous évoquerons plus loin. En outre, certaines universités, sans aller jusqu’à la mise en place de Licences spécifiques, promeuvent des enseignements innovants pédagogiquement et qui s’appuient sur un pluralisme, sinon disciplinaire, au moins théoriques, comme c’est le cas des « Projets tutorés » ou des « Théories économiques comparées » en Licence d’économie à Paris 1, par exemple.

Des enseignements allant dans la bonne direction existent donc bel et bien. Ils ne sont pas sans rencontrer certains problèmes. D’une part les différentes formations présentées font face à un certain nombre de limites, notamment d’ordre institutionnel et administratif, dont l’importance ne doit pas être négligée. D’autre part, on peut regretter dans certains parcours ce qui s’apparente à une simple juxtaposition de matières, sans que celles-ci soient mises au service d’une problématique posée « en amont ».

Tous les enseignants qui dirigent ces formations signalent la difficulté à mettre en place des formations pluralistes en sciences humaines et sociales. Cela vient de certains blocages institutionnels, relevant d’une double dimension : historique et politique. En effet, la sociologie et l’économie se sont historiquement structurées sur deux types de formations différents, respectivement les lettres et le droit, ce qui a conduit à leur division administrative actuelle entre deux « domaines de formation » : les Sciences Humaines et Sociales d’un côté et le Droit, Economie et Gestion de l’autre. Deux éléments renforcent cette division. Premièrement, l’existence de l’agrégation du supérieur en économie affilie académiquement l’économie à la gestion et au droit, et non pas à la sociologie et à d’autres sciences sociales, dans lesquelles elle n’existe pas. Ce concours se fait le vecteur d’un certain clanisme au sein de la pensée économique, rejaillissant par ailleurs sur la façon dont sont construits les enseignements (à travers les conflits qui apparaissent au moment des renouvellements de maquettes). Deuxièmement, cette rupture institutionnelle, académique et administrative entre économie et sociologie s’est vue, contre toute attente, gravée dans le marbre lors du passage au LMD, moment où a été réaffirmée avec force cette division. Ainsi, il est délicat à l’heure actuelle de chercher à proposer des maquettes ne serait-ce que bi-disciplinaires entre l’économie et la sociologie (sans même parler de philosophie ou d’histoire), et ce pour des raisons purement administratives. Pour le dire autrement, le ministère complique très souvent les choses, sous prétexte de la nécessité d’une double habilitation de diplômes de type « Economie-Sociologie » à la fois en économie et en sociologie. La récente réouverture du dossier de la Licence par le ministère de l’Enseignement Supérieur doit à ce titre être surveillée de près.

Néanmoins, dans l’état actuel des choses et compte tenu de ce cadre administratif et politique donné, il reste possible, dans certaines configurations spécifiques de « contrecarrer » en quelque sorte ces rigidités institutionnelles. Tel est semble t-il le cas des parcours « Economies et sociétés » de l’Université de Lille 1 par exemple5, où se trouvent un laboratoire pluridisciplinaire comme le CLERSE, couplé à une des seules facultés des sciences économiques et sociales de France ; ou bien le cas de la « Licence Sciences Economiques et Sociales » de Paris 7 qui appartient à un UFR de « Géographie, Histoire, Sciences de la Société ».

Force est donc de constater qu’il n’est pas simple de mettre en place des formations pluralistes : en plus de conditions spécifiques qui doivent souvent être réunies (laboratoire ou UFR pluridisciplinaires), les enseignants doivent en permanence essayer de « ruser » ou de « passer au travers des mailles du filet ». Ces obstacles institutionnels à la mise en place d’enseignements réellement pluralistes ne doivent pas être sous-estimés, ils sont tout à fait structurants et nous devons les intégrer dans le combat que nous menons.

Or, d’un point de vue intellectuel, l’économie et la sociologie sont souvent deux disciplines qui sont amenées à dialoguer et ce de manière tout à fait féconde, comme l’illustrent bien les SES enseignées au lycée (voir encadré). Il nous semble donc que ces divisions en différents « domaines de formation », en tant qu’elles limitent voire interdisent les dialogues entre disciplines, revêtent un caractère extrêmement appauvrissant intellectuellement et donc contre-productif. Certes, il reste possible de proposer des cours à option (sociologie, histoire, géopolitique…) dans des Licences d’économie-gestion. Mais ceux-ci ne sont jamais reliés à ce qui se fait en économie et ne cherchent pas à compléter utilement les autres enseignements reçus. Ils font figure d’alibi d’ouverture intellectuelle.

Les responsables des formations « Economie et sociétés » sont bien souvent conscients des limites et aimeraient aller plus loin « dans » la pluridisciplinarité. Ces formations doivent en effet selon nous être améliorées afin de répondre de façon plus complète à nos attentes. Nous considérons que la pluridisciplinarité doit davantage être mise au service de la compréhension des problèmes économiques. Il ne faut pas que les différentes disciplines et approches théoriques apparaissent comme de simples juxtapositions de cours sans réels liens, mais bien au contraire qu’elles répondent à une approche thématique et problématisée en insistant sur le sens de leur utilisation. Il nous semblerait préférable de voir les différentes sciences sociales mobilisées comme des réponses à des problématiques autour de grands thèmes (le chômage, les inégalités, la famille, la consommation…). Nous ne sommes évidemment pas dupes des difficultés auxquels s’exposent de tels cours, de la nécessaire coordination des intervenants qu’ils impliquent etc. ; ceci représente une sorte d’idéal vers lequel nous aimerions orienter la façon dont sont construites nos formations.

D’une façon plus générale, plusieurs questions restent largement ouvertes au regard de ces formations pluridisciplinaires et nous y travaillons d’ailleurs de façon ouverte et participative au sein du mouvement PEPS. S’agit-il de donner une exclusivité de principe à l’économie, ou bien proposer des enseignements de sciences sociales généralistes, comme le propose notamment Alain Caillé ? Où devrait commencer et où limiter la pluridisciplinarité ? Faut-il
se spécialiser un jour, et si oui quand ? Quelle répartition entre le niveau Licence et Master ? Il est difficile de répondre de manière définitive à ces questions et nous ne prétendons pas les trancher dès maintenant. Néanmoins, si l’on s’appuie sur la réussite jusqu’à maintenant des Sciences Economiques et Sociales au lycée, nous pouvons être tentés de vouloir prolonger cette pluridisciplinarité le plus longtemps possible. A tout le moins, des Licences de type SES nous semblent tout à fait envisageables. Une réponse provisoire pourrait consister à poser un garde-fou, qui arguerait de ne jamais faire de la spécialisation une question de principe, sans quoi on risquerait de s’interdire d’utiliser d’autres sciences sociales, alors même qu’elles seraient profitables pour la formation intellectuelle.


Les Sciences Economiques et Sociales, un modèle à suivre

Un certain type de formation, par essence pluraliste, rencontre un succès certain depuis plus de quarante ans : les Sciences Economiques et Sociales (SES) dispensées au lycée. Si elles sont enseignées actuellement dans le secondaire, rien ne contre-indique, selon nous, l’ « exportation » des SES vers le supérieur (à rebours de la tendance actuelle de modification des programmes de SES, qui tendrait à « importer » l’enseignement de l’économie du supérieur au lycée). Il nous faut nous inspirer des enseignements de SES tels qu’ils étaient jusqu’alors, c’est-à-dire en invitant au croisement des regards. L’approche qui est au fondement des SES invite à partir d’objets-problèmes pour se saisir de différentes théories, auteurs et concepts afin d’y répondre.

A ce titre, nous critiquons la tournure que prennent les nouveaux programmes de SES. La tendance serait à la dissociation des différentes composantes des sciences économiques et sociales :à un enseignement d’économie (dont la domination se trouve confortée) en succéderait un de sociologie (bien plus court) puis, certains objets seraient abordés à l’aide d’un regard croisé des disciplines précédemment abordées. Ce cloisonnement disciplinaire nous paraît absurde et ne permet pas une approche satisfaisante des objets que l’on souhaite étudier. Pourquoi s’interdire d’utiliser d’autres sciences sociales ?

L’exigence de pluralisme (qu’il soit disciplinaire ou autre) se pose dans l’enseignement secondaire aussi bien que dans l’enseignement supérieur. On ne saurait dissocier les deux. La question du pluralisme ne s’arrête ni même ne débute à l’issue du lycée : elle va au contraire de la seconde jusqu’au master (et peut-être même au-delà). Le questionnement autour du sens, si important en SES, est un questionnement que nous partageons et c’est bien son absence dans l’enseignement supérieur que nous regrettons.


Ce que nous proposons

Notre tentative de promouvoir une nouvelle façon d'envisager la formation en économie, vise à sensibiliser tout autant les étudiants que les chercheurs, mais aussi les pouvoirs publics et les différentes acteurs de l’économie. Nous proposons pour cela d’intégrer un plus grand pluralisme à nos formations, à trois niveaux :

1) Introduire une réflexivité dans la présentation des méthodes. Tout d’abord l’épistémologie doit être considérée comme un enseignement nécessaire dès la licence, et non en tant que discipline de spécialité éventuellement étudiée en master. Il convient également d’historiciser les théories présentées, de citer les hypothèses théoriques sous-jacentes mais également de présenter les débats politiques qui ont permis leur émergence dans un contexte historique et un champ académique et social particulier. En un mot, combiner épistémologie et histoire de la pensée afin de permettre aux étudiants en économie de penser pleinement les modèles et les théories en jeu.

2) Tenir compte des différentes approches théoriques et paradigmatiques. Seule une présentation plurielle permettra aux étudiants de se faire une idée de leur pouvoir explicatif. La théorie néoclassique revêt à l’heure actuelle un caractère excessivement dominant dans les enseignements reçus. Il s’agit non pas de renoncer à son enseignement mais de refuser son omniprésence.

3) Instituer l’interdisciplinarité qui permet de partir des phénomènes économiques en tant qu’objets d’analyse pertinents sans se limiter « par principe » à une discipline en particulier. Il s’agit de s’intéresser aux objets économiques et non aux objets de la théorie économique. Le chômage, les inégalités, la consommation, etc. doivent être appréhendés sans prisme initial, les modèles économiques nécessairement réducteurs ne peuvent que s’enrichir d’une appropriation (et non d’une simple discussion) des connaissances sociologiques, historiques, anthropologiques ou géographiques.

Cette quête de pluralisme se veut quête de sens. Pour ce faire, nous proposons d’introduire en plus de ce « triple pluralisme » une innovation pédagogique qui viendrait en quelque sorte le justifier. Nous souhaitons voir apparaître dans les maquettes d’enseignement d’économie une approche par thématique qui est aujourd’hui presque totalement absente6. Celle-ci permet de se parer contre le risque de juxtaposition théorique ou disciplinaire en inscrivant les connaissances présentées dans une problématique donnée. Partir d’une question, d’un problème et voir ce qu’on peut mobiliser pour y répondre : telle est la démarche que nous proposons. Nous ne proposons pas que les cursus d’économie se fondent exclusivement dessus, mais nous souhaitons qu’elle y occupe une large place. C’est bien la recherche du sens qui nous pousse à proposer une approche pluraliste, à la fois du point de vue paradigmatique que conceptuel ou disciplinaire. L’approche thématique que nous défendons comme application pratique du pluralisme doit également s’accompagner d’une réflexion sur des nouvelles formes de pédagogie. Elle peut servir de support à des approches différentes, comme le travail en groupe, la réduction du volume de cours magistraux, l’intégration active et une participation accrue des étudiants au déroulement du cours…

Dès lors, Nous appelons les enseignants à ne plus occulter les pensées hétérodoxes dans leurs cours. Nous appelons les responsables des départements et UFR d’économie à ouvrir leurs formations aux autres disciplines et à revaloriser certaines matières déconsidérées aujourd’hui, comme l’épistémologie, l’histoire de la pensée ou l’histoire des faits économiques et sociaux. Nous appelons les étudiants qui se sentent proches de nos
revendications à nous rejoindre dans le combat que nous menons pour un enseignement pluraliste.

Quentin

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Message  Fred Ven 18 Mar - 15:59

Alors, je vais essayer de répondre à ce très long texte en quelques points:
- Tout d'abord, j'ai du mal à voir dans ce manifeste autre chose que de la pur idéologie. Jamais le texte n'explique à quoi sert la formation en économie (la formation en question restant très vague par ailleurs). Si la formation doit changer c'est parce que le résultat de la formation n'est pas jugé bon (ou pas conforme à l'idée que s'en font les auteurs). Or, le texte ne parle pas des éventuelles conséquences des mesures qu'ils souhaitent sur le marché du travail. A ce titre, je pense qu'il faut rappeler que les formations en économie sont des formations assez généraliste, avec des débouchés très hétérogènes, avec au final très peu d'économistes.
- L'idée d'une pensée unique en économie témoigne d'une incompréhension de la recherche économique. Oui, il y a des "chapelles" mais les chercheurs du monde entier s'efforcent papiers après papiers de confronter les théories à la réalité.
- Il y a une grande confusion entre les outils et les théories économiques. L'usage des mathématiques est un outil indispensable pour synthétiser/modéliser des comportements humains par définition complexes. L'utilisation des outils à la disposition des économistes peuvent déboucher sur des théories différentes.
- L'ensemble du manifeste semble considérer l'étudiant comme un être dépourvu de sens critique, de telle sorte qu'il est nécessaire de lui apprendre la critique en plus des théories. Il me semble bien plus ambitieux de lui apprendre à utiliser des outils universels pour qu'il se forge sa propre opinion.
- Le texte sous-entend plusieurs fois que la manière dont est enseignée l’économie en France a un impact sur la pensée économique (par principe universelle), ce qui est quand même très présomptueux.
- De manière générale, les auteurs du manifeste se battent contre une idée caricaturale et archaïque de la science économique et de son enseignement. La pluridisciplinarité existe en partie. L'histoire de la pensée est enseignée. Il n'y a pas de lobbies d'une pensée plus que d'une autre (d'ailleurs, quel en serait l'intérêt?).

Le rôle de la science économique dans la crise qui ébranle aujourd'hui encore les économies réelles semble avoir été désormais largement mis en évidence, sans que toutes les conséquences en aient été tirées. Une responsabilité en incombe directement aux économistes, et une responsabilité encore plus grande à ceux qui les forment. Cette crise économique, que la théorie dominante n’a pas été capable d’anticiper, peut donc être vue également comme la crise de l’enseignement de l’économie.
Ce paragraphe décrédibilise une bonne partie de l'argumentaire et témoigne encore une fois d'une incompréhension de ce qu'est un économiste et de son supposé rôle dans la société. Un économiste n'est pas un décideur et son rôle n'est pas de prévoir l'avenir. Son rôle est d'expliquer scientifiquement la réalité économique passée et d'en tirer des propositions pour les décisions futurs.

Comment parler de consommation sans évoquer les analyses sociologiques et en se cantonnant à la théorie microéconomique du consommateur ?
Contrairement à cette idée reçu établie au rang de vérité dans le texte, la micro-économie est sans doute la matière qui offre le plus d'opportunités de faire des liens avec l'analyse sociologique. C'est notamment le cas en micro-économie du développement où il est indispensable de connaître les modes de vie des populations étudiées (d'un point de vue sociologique et anthropologique). Au passage, la microéconomie du consommateur s'en remet systématiquement aux préférences du consommateur.

1) Introduire une réflexivité dans la présentation des méthodes. Tout d’abord l’épistémologie doit être considérée comme un enseignement nécessaire dès la licence, et non en tant que discipline de spécialité éventuellement étudiée en master. Il convient également d’historiciser les théories présentées, de citer les hypothèses théoriques sous-jacentes mais également de présenter les débats politiques qui ont permis leur émergence dans un contexte historique et un champ académique et social particulier. En un mot, combiner épistémologie et histoire de la pensée afin de permettre aux étudiants en économie de penser pleinement les modèles et les théories en jeu.
L’histoire de la pensée économique est déjà enseignée (dès le lycée pour ceux qui suivent l'option éco). C’est indispensable certes, mais ça existe déjà. A Clermont, c’est au programme de la première année d’étude.

3) Instituer l’interdisciplinarité qui permet de partir des phénomènes économiques en tant qu’objets d’analyse pertinents sans se limiter « par principe » à une discipline en particulier. Il s’agit de s’intéresser aux objets économiques et non aux objets de la théorie économique. Le chômage, les inégalités, la consommation, etc. doivent être appréhendés sans prisme initial, les modèles économiques nécessairement réducteurs ne peuvent que s’enrichir d’une appropriation (et non d’une simple discussion) des connaissances sociologiques, historiques, anthropologiques ou géographiques.
A mon avis, c'est un faux débat. Oui, il est essentiel que la formation inclue un enseignement général afin d'être sensibilisé à toutes les disciplines: c'est le rôle du lycée. Oui, la formation en économie doit être ouverte aux apports des autres formations, mais il ne faut pas oublier que le but est de former des économistes.
La pluridisciplinarité existe lorsqu'elle est possible et naturelle. C'est principalement le cas dans la recherche. Imposer la pluridisciplinarité (comme on le fait à Clermont entre droit et économie) n'a aucun sens.


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Message  Louis-Marie Lun 21 Mar - 10:56

Voilà un thème sur lequel il y a beaucoup de choses à dire, ...;

Ce qui est extrêmement paradoxal dans cette initiative (comme dans toutes celles qui prétendent défendre le pluralisme) c'est que ceux qui lancent sont par principe opposés au pluralisme. Réclamer du pluralisme consiste en fait à demander l'étude de thèses marginales et le plus souvent très marquées politiquement (comme dans les initiative des économistes atterrés, les principaux leaders sont membre ou soutiennent le Front de Gauche). Leurs idées sont simples : les thèse libérales ayant été mises en difficulté par la confrontation aux faits, il suffit de les remplacer par d'autres, ....
Par ailleurs, leur définition du pluralisme est univoque : hors de question de parler de Maurice Allais ou de Alfred Sauvy bien évidemment, ...

La crise des subprimes a certes ébranlé la science économique mais il me semble qu'il n'existe pas d'approche alternative crédible et plus que tout, il me semble que c'est la perversion du système capitaliste qui est à blâmer plus que le système en tant que tel. L'absence de transparence, les coûts liés à la recherche de l'information tout comme les abus de position dominante sont des facteurs explicatifs pertinents de la crise.

Je n'ai personnellement aucune sympathie pour la microéconomie mais la présentation de ses bases semble inévitable. Je pense que l'histoire de la pensée mais aussi l'histoire des faits économique comme celle des institutions politiques devraient occuper une place plus importante dans le parcours des étudiants en économie (encore faudrait-il pouvoir enseigner les faits bruts sans censure, ...).

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Message  flbresson Lun 21 Mar - 12:46

Moi je comprend les étudiants qui ont du mal avec le fossé entre les SES du lycée et les enseignements de licence. Au lycée, on nous offre une représentation du monde qui nous offre une grille de lecture, certes assez grossière, mais qui donne le sentiment qu'on peut expliquer certains phénomènes économiques (au passage, je note qu'il s'agit plus souvent de description que d'explication, mais ça c'est autre chose). Arrivé en licence, on reprend tout à la base et les ambitions sont considérablement revues à la baisse. Plus question en effet d'être capable de décrire le fonctionnement du monde car on s'attache à des mécanismes partiels et surtout on travaille à l'acquisition d'outils. Bref, c'est comme devoir prendre un paquet de cours de solfège après après passé quelques temps à jouer (peut-être mal mais avec plaisir) d'un instrument. Bref, ça peut être très chiant et l'absence de visibilité sur la finalité (le pourquoi on doit passer par là) n'aide pas les étudiants à se motiver.

Après, c'est toujours le même débat : peut-on devenir danseur étoile sans avoir fait des pointes pendant des années ? Certes, une minorité seulement d'étudiants souhaitent devenir économistes, mais sous prétexte qu'ils sont moins nombreux je ne vois pas pourquoi on devrait les priver d'une formation qui leur offrent des bases suffisamment solides pour pouvoir rivaliser avec la concurrence.
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Message  Fred Lun 21 Mar - 19:12

Louis-Marie a écrit:Je pense que l'histoire de la pensée mais aussi l'histoire des faits économique comme celle des institutions politiques devraient occuper une place plus importante dans le parcours des étudiants en économie (encore faudrait-il pouvoir enseigner les faits bruts sans censure, ...).
Tu penses à de l'auto-censure de la part des profs? Par peur des mauvaises réaction des élèves?

flbresson a écrit: Moi je comprend les étudiants qui ont du mal avec le fossé entre les SES du lycée et les enseignements de licence.
C'est sur qu'il y a un fossé énorme, mais à mon avis, le problème vient plus du lycée que de la fac. Je suis assez partisan d'un apprentissage de l'économie généralisé pour tous les lycéens. En première année d'éco, la moitié de l'amphi est constitué de détenteurs du bac S avec aucune notion d'économie. Dans chaque cours d'éco, on te fais des rappels d'économie générale pour que les scientifiques ne soient pas perdu alors que les maths embrayent immédiatement comme si tous le monde avait fait S option math.

Ce qu'il manque vraiment à la formation en économie, c'est de la réflexion. C'est vrai que le parcours se focalise beaucoup trop sur les outils.
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Message  Louis-Marie Lun 21 Mar - 19:59

Je partage l'avis de Fred sur l'enseignement de l'économie au lycée mais la réforme de la filière ES ne va certainement pas dans le bon sens.
Il est vrai que les amphis de sciences éco sont remplis d'anciens de la filière S qui calculent très facilement des dérivées mais qui ont parfois du mal à les interpréter (on a par ailleurs le même problème avec les étudiants chinois).

Sur le premier point, je pense effectivement qu'il existe une certaine censure ou du moins des réticences à aborder certains faits d'histoire économique.
Je prépare actuellement un cours d'histoire des faits économiques et j'utilise beaucoup un ouvrage de Bairoch "Mythes et paradoxes de l'histoire économique" qui traite d'un certain nombre de sujets un peu "sensibles" comme le bilan économique de la colonisation ou sur la situation économique des pays ex-soviétiques, ou sur la construction européenne.... et bien d'autres encore, ..;;qui n'ont jamais été traité dans les cours auxquels j'ai assisté et que je vais traiter (il est vrai que j'aurai l'avantage de n'avoir qu'un public d'étudiants chinois, ...)

Louis-Marie

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Message  Fred Jeu 24 Mar - 16:21

Louis-Marie a écrit:Je partage l'avis de Fred sur l'enseignement de l'économie au lycée mais la réforme de la filière ES ne va certainement pas dans le bon sens.

En deux mots, c'est quoi cette réforme? Personnellement, je serais partisan de n'importe quelle réforme ayant pour but que tous les bacheliers sachent ce qu'est un prix et comment il évolue en fonction de l'offre et de la demande.
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Message  flbresson Jeu 24 Mar - 18:38

Et moi de toute réforme qui permette de prendre en compte les évolutions de la pensée éco depuis Friedman (et encore je suis large car souvent au delà de Keynes, bof bof).
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